Apprendre
est une activité mentale qui n’appartient qu’à celui qui apprend. Encore faut
il « savoir apprendre », et pour cela prendre conscience des gestes
mentaux à l’oeuvre dans l’apprentissage.
La gestion mentale, mise au
point par Antoine de La Garanderie, nous donne à cet égard d’utiles points de
repère.
Grâce à son
long travail d’entretiens et d’observations de personnes en situation
d’apprentissage – qu’elles soient en difficulté ou « brillants
sujets », enfants ou plus âgées – A. de La Garanderie identifie cinq
gestes mentaux fondamentaux, à l’oeuvre dans l’acte d’apprendre:
– l’attention
– la mémorisation
– la compréhension
– la réflexion
– l’imagination créatrice
En premier,
vient l’évocation.
Les gestes mentaux « tourneraient à vide » s’ils n’étaient pas
alimentés par les représentations mentales de celui qui apprend, autrement dit
par les évocations qu’il se forge à propos de ce qu’il lit, écoute, fait etc…
« La vie mentale commence quand on transforme le perçu en évoqué »
écrit il. « Tous les gestes mentaux sont de nature évocatrice« ,
c’est à dire que ce sont des représentations autonomes par rapport à la
perception qui les a fait naître. Pour bien apprendre, une première étape
est donc de prendre conscience de la manière dont j’évoque: en voyant dans
ma tête? en me redisant ce que j’ai compris? en réentendant les explications?
en faisant appel à mon ressenti? Pour une explication plus approfondie le
l’évocation, voir le schéma sur le site http://www.educreuse23.ac-limoges.fr.
Deuxième
élément fondamental pour l’apprentissage: le projet. Il n’y a pas
d’évocation sans projet d’évoquer. Il n’y a pas d’attention, de mémorisation,
ou d’autre geste mental, sans projet spécifique à ce geste. « Le projet
est essentiel à la vie mentale ».
Ainsi pour
l’attention. Il n’est pas très utile de dire – à un enfant par exemple-
« fais attention! », « concentre toi »…L’enfant se tend (ce
qui, on l’a vu, est très mauvais pour apprendre), mais
cela ne lui dit pas comment faire. Il est bien plus utile de lui dire
« regarde (ou écoute) avec le projet de faire exister dans ta tête ».
De même pour
la mémorisation: ce geste mental ne s’effectue pas du présent (je dois
me souvenir) vers le passé (de ce que j’ai vu ou entendu), mais du présent (je
fais le projet de mémoriser l’information que je vais percevoir) vers l’avenir
(pour la rendre disponible le moment venu). Le geste mental de mémorisation
s’effectue au moment où l’on perçoit l’information, « en se plaçant dans
la ou les situation(s) d’avenir où on aura à l’utiliser ». La mémoire,
c’est un projet d’avenir…
A. de La
Garanderie décompose ainsi le geste de compréhension: « Comprendre,
c’est d’abord évoquer ce qu’on perçoit: un texte qu’on lit, un discours que
l’on écoute… C’est ensuite réexprimer à sa manière ce qu’on a perçu et le
traduire dans son propre langage mental, pour permettre à l’intuition de sens
de naitre. C’est enfin confronter cette traduction à l’objet de
perception ».
La réflexion
implique de « faire un retour sur ses acquis (connaissances, règles,
expériences) afin de les utiliser pour résoudre un problème, ou répondre à une
question. Elle implique de se donner des images mentales du problème à
résoudre, suffisamment précises « pour pouvoir « convoquer dans sa
tête » toutes les évocations issues de sa propre expérience qui vont être
utiles ».
Combien de
pédagogues ont ainsi constatés que bien « qu’ayant compris », bien
que « sachant la règle », l’enfant, l’étudiant ou l’adulte en
formation ne l’appliquait pas le moment venu! C’est que de la compréhension
à l’application, de la compréhension à la restitution, il y a cette étape
clé, ce « projet de réflexion » indispensable à la mobilisation de la
connaissance.
Face à une
difficulté d’apprentissage, c’est donc chaque étape du projet qu’il faut
passer en revue avec l’apprenant pour diagnostiquer « le
blocage ». Je me souviens ainsi de cette institutrice qui me disait de mon
fils aîné, alors âgé de 5 ans, « qu’il n’apprenait pas ses poésies ».
L’enfant les apprenait, avec pour projet.. de me les réciter le soir! Une fois
« maman contente », son projet s’arrêtait là, et il restait muet en
classe!
Le geste
mental d’imagination créatrice nous permet d’exprimer notre créativité,
de projeter une autre réalité que celle que nous percevons. Comme pour le geste
de mémorisation, ce geste s’accomplit du présent vers le futur: « c’est au
moment de la perception que s’acccomplit le geste mental qui déclenche
l’imagination ».
Je ne peux accomplir ce geste mental d’imagination
créatrice que si j’ai le projet mental de « m’investir personnellement
dans ce que je perçois », « à la première personne », pour
ensuite me donner la liberté de transformer les images issues de ma perception.
A. de la Garanderie compare ainsi deux personnes qui visitent un appartement:
l’un reste totalement extérieur à la réalité perçue, l’autre s’implique
totalement (« je verrai bien une très grande pièce à vivre si l’on
abattait cette cloison »…) et s’autorise ainsi à ne pas se figer dans la
reproduction du perçu.
Ce n’est ici
qu’un aperçu des travaux de La Garanderie, dont le regard est avant tout un
regard d’espoir sur tout être humain: il n’y a jamais de fatalité dans l’échec.
Travailler sur ses propres gestes mentaux, c’est véritablement se réapproprier
sa propre intelligence, découvrir que l’on est maître de ses gestes mentaux, et
par là même atteindre une forme de liberté personnelle. Aider autrui à
entraîner ses gestes mentaux, c’est l’accompagner vers la prise de conscience
de l’étendue insoupçonnée de ses capacités mentales.
Il est bien
sûr vivement conseillé de lire les ouvrages d’A. de la Garanderie.
Les citations
reprises sur ce billet sont empruntées à un ouvrage qu’il a co-écrit avec
Daniel Arquié, « Réussir ça s’apprend » (Bayard Editions),
essentiellement destiné aux parents. Citons aussi « On peut tous toujours
réussir » (Bayard), « Les profils pédagogiques » (Bayard),
« Apprendre sans peur » (Chronique sociale).
Pour ceux qui se
préoccupent d’accompagner des personnes qui apprennent, je recommande
chaudement le livre de Marie-Françoise Chesnais, « Vers l’autonomie, l’accompagnement
dans les apprentissages », chez Hachette Education.